concerts en boîte

21 octobre 2018 à 20:40

Jeff Buckley, Café Days

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Nous remercions infiniment cette participation à Concerts en Boîte, en espérant lire encore plein d'autres textes !

La Pochette

Mis en rayon par Nicolas

Comment devient-on un artiste culte ? La recette est pourtant simple : faites quelques albums – c’est encore mieux s’ils sont confidentiels – et arrangez-vous pour mourir avant 30 ans ! Autre ingrédient indispensable : avoir une famille qui, assurément, gèrera votre leg et vous fera entrer définitivement dans l’Histoire.

Evidemment, vu comme ça, vous avez des raisons d’être dubitatifs. Car un dernier ingrédient manque à l’appel : il faut avoir un sacré talent et en avoir bavé… Prenez Hendrix : obligé de s’exiler à Londres pour construire sa légende, car l’Amérique ne voulait pas de lui ! Tu penses bien : tout Londres se pressait à The Scene pour voir le magicien en action. Engouement également aidé par la confidentialité, le bouche à oreilles et ces petits concerts où l’on entend dire : « Et toi tu y étais, là où tout à commencé ? »

Mais venons en à notre sujet. On connaît Jeff Buckley pour son unique album paru de son vivant, Grace(1994), qui reçut à l’époque un beau succès. Toutefois, rien de comparable à l’explosion commerciale survenue à sa mort en 1997, puis à l’exploitation que fera sa mère Mary Guibert de son « catalogue » (Sketches, Mystery White Boy…. ). Mais ce que l’on connaît moins, c’est la période qui a précédé son succès.

Comme Dylan l’avait fait dans les cafés Folk du Village du New-York au début sixties, Jeff Buckley va prendre ses quartiers dans un petit café irlandais du Lower East-Side, le Sin-é (qui n’existe plus aujourd’hui), et va construire sa légende. Nous sommes en 1992. Jeff a déjà fait pas mal de rencontres (Gary Lucas notamment, lors d’un concert hommage à son père biologique Tim), mais sa carrière piétine. Le projet avorté Gods & Monsters, avec le même Gary Lucas, ne s’est pas bien terminé et Jeff va décider de se produire seul sur scène.

Ses prestations au Sin-é vont créer un véritable phénomène. Les directeurs artistiques se succédant tous les lundis soirs pour le voir jouer. Il signera finalement chez Sony Music (Columbia), qui décidera d’enregistrer ses prestations Live, car Jeff souhaite prendre son temps pour enregistrer son premier album. Les enregistrements vont se concrétiser le 19 juillet 1993 et surtout le 17 aout 1993. Sortira un mini EP composé des titres : Mojo Pin, Eternal Life, The Way Young Lovers Do et Je N’en Connais Pas La Fin ; objet déjà culte en cette fin de 90’s.

Mais c’était évidemment la partie émergée de l’iceberg puisque, ce qui nous intéresse ici, est la Legacy Edition de 2003 (et la réédition en vinyle du Record Store Day 2018). L’affaire dure deux fois 80 minutes, plus de 2 heures et demi de musique… Jeff, sa voix et sa Telecaster.

L’album nous propose d’assister à un tour de chant magistral (sa voix couvrait 4 octaves). Evidemment on peut trouver pompeux un certain lyrisme dans cette voix, mais on n’est pas encore dans les gémissements à la Thom Yorke : Jeff sait chanter et surtout choisir ses morceaux. Et quels morceaux ! Les siens bien sûr. Ceux qui feront Grace (Lover, Mojo Pin, Grace, Last Goodbye, Eternal Life) et ceux de ses idoles : Dylan (Just Like A WomanI Shall Be Released), Ray Charles (Drown In My Own Tears), Billie Holliday (Strange Fruit), Van Morrison (Sweet Thing), Nina Simone (If You Knew), Led Zeppelin, Edith Piaf, ou encore Leonard CohenOn aura même le droit à Calling you, la chanson du film Bagdad Café, de rigueur donc 😉

Jeff chante et joue sur sa Telecaster. Se réapproprie littéralement les morceaux pour créer, à l’instar des jazzman, des variations et de véritables créations : sommes-nous dans le Folk, la Soul, le Rock ? Pas de problème, la voix de Jeff nous montre la voie.

Les sommets de cet album :

  • Night Flight des Zep, plus funky que l’original.
  • If You See Her, Say Hello de Dylan (album Blood On The Tracks), chanson parfaite pour chialer dans sa bière ! 
  • Unforgiven (Last Goodbye).
  • L’immense Classique Folk Dink’s Song ou Fare Thee Well, que tous les folkeux du début des années 60 reprenaient, Dylan en tête (c’est la chanson chantée par Oscar Issac à plusieurs reprises dans le film des frères Coen, Inside Llewyn Davis), étendue ici sur 11 minutes.
  • Les versions de Sweet Thing, mais surtout The Way Young Lovers Do (sommet de l’album) de Van Morrison, qui pulvérise la version originale sur 10 minutes : pourtant le Van se servait de sa voix comme d’un véritable instrument de musique sur l’album Astral Weeks et réussissait à créer l’ émotion. Buckley lui nous envoie carrément au septième ciel.
  • Je N’en Connais Pas La Fin d’Edith Piaf, qui sera encore entendue sur le Live At L’Olympia, démontre son immense culture et son bon goût.
  • Le meilleur pour la fin : évidemment sa reprise de Leonard Cohen, Hallelujah, qui nous fera redécouvrir à nous tous, bande d’incultes, ce chef d’œuvre, cet orgasme au sens littéral de l’émotions, qui devient sous l’arrangement de Buckley, la plus belle chanson du monde.
  • Et puis, il y a les monologues : interludes pendant lesquels Jeff vient blaguer avec son auditoire sur Duane Eddy, la ressemblance de sa coupe de cheveux avec celle de Matt Dillon, les classic Rocks radios, un petit coup de Smell Like Teen’s Spirit par-ci, un pastiche de The End par-là… Et surtout ce fabuleux passage où il reprend un morceau en soufi de son mentor, le chanteur pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan où il explique : « Nusrat is my guy. He’s my Elvis ».

Nous nous sommes un peu égarés depuis le début de cet article : vous aurez compris d’où viennent les albums que nous chérissons tant. Ces albums cultes. Il y a une construction, plus ou moins longue, faites de rencontres, d’inspirations, d’essais, de succès, d’échecs… et de café ! Rien n’est dû au hasard. Assister à ces concerts de construction d’un artiste, voilà qui est passionnant et ceux qui y étaient peuvent dire maintenant : « I was there ». Café days.

Ecouter ou réecouter ces témoignages sont aujourd’hui un privilège. Profitons-en. Ne boudons pas notre plaisir et, pour une fois, disons merci aux maisons de disques… et à la famille.

Le 29 mai 1997, en attendant son groupe à Memphis pour enregistrer son nouvel album Sketches For My Sweetheart The Drunk, Buckley se baigne tout habillé dans le Wolf River (affluent du Mississippi). Il sera aspiré par un bateau à aubes. Il avait 30 ans. Son destin me fait penser à l’autre Fallen Angel, le Grievious Angel Gram Parsons (une autre histoire …?)

Jeff Buckley ? He’s MY Elvis !!

Le Maestro

  • Jeff Buckley : Chant, Guitare & Café 😉

Les pépites sur ces galettes

  1. Be Your Husband (Andrew Benjamin Stroud) – 4:55
  2. Lover, You Should’ve Come Over – 9:25
  3. Mojo Pin – 5:37
  4. Monologue – Duane Eddy, Songs For Lovers – 1:18
  5. Grace – 6:49
  6. Monologue – Reverb, The Doors – 1:40
  7. Strange Fruit (Abel Meeropol) – 7:43
  8. Night Flight (Led Zepplin) – 6:40
  9. If You Knew (Nina Simone) – 4:28
  10. Monologue – Fabulous Time For A Guinness – 0:40
  11. Unforgiven (Last Goodbye) – 5:36
  12. The Twelfth Of Never (Jerry Livingston) – 3:35
  13. Monologue – Café Days – 0:15
  14. Monologue – Eternal Life – 0:36
  15. Eternal Life – 5:50
  16. Just Like A Woman (Bob Dylan) – 7:26
  17. Monologue – False Start, Apology, Miles Davis – 1:03
  18. Calling You (Bob Telson) – 5:49
  19. Monologue – Nusrat, He’s My Elvis – 3:13
  20. Yeh Jo Halka Halka Saroor Hai (Nusrat Fateh Ali Khan) – 6:09
  21. Monologue – I’m A Ridiculous Person – 0:39
  22. If You See Her, Say Hello (Bob Dylan) – 8:18
  23. Monologue – Matt Dillon, Hollies, Classic Rock Radio – 1:33
  24. Dink’s Song – 11:14
  25. Monologue – Musical Chairs – 1:09
  26. Drown In My Own Tears (Henry Glover) – 4:11
  27. Monologue – The Suckiest Water – 0:08
  28. The Way Young Lovers Do (Van Morrison) – 10:06
  29. Monologue – Walk Through Walls – 0:26
  30. Je N’en Connais Pas La Fin (Édith Piaf) – 5:02
  31. I Shall Be Released (Bob Dylan) – 5:20
  32. Sweet Thing (Van Morrison) – 10:36
  33. Monologue – Good Night Bill – 0:16
  34. Hallelujah (Leonard Cohen) – 9:15

La pochette et le packaging (Legacy Edition Record Store Day 2018)

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  • rajoute :
    à 20 h 36 min

    Bel hommage à Jeff BUCKLEY. Personnellement, je pense que si GRACE n'était pas porté par la grâce de la reprise de COHEN, rien ne serait arrivé pour Jeff. Si vous ne le connaissez déjà, je vous conseille d'écouter l'album de son père sorti en 1967 : GOODBYE AND HELLO. C'est un disque lumineux venu directement des étoiles pour l'éternité. J-Luc

  • rajoute :
    à 10 h 26 min

    je déteste mettre sur un piédestal un artiste qui n'a qu'un seul album, aussi parfait qu'il puisse être. Et c'est vrai, et tu l'écris, je suis mal à l'aise de voir un nouvel album/live quasi chaque année depuis sa mort tragique.. comme pour hendrix ou Marley d'ailleurs.. et johnny maintenant